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19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 22:16

Dans l'édition de ce jour (19/07/2023) de l'HUMANITÉ
(le 13 juillet sur le site internet)



Reportage
Révolte à Roubaix : « On est sorti avec l’envie de manifester contre la police »
Au cœur du quartier de l’Alma-Gare (Roubaix), entre les bâtiments marqués par les traces d’un projet de rénovation urbaine, des jeunes qui ont participé aux émeutes expriment leur sentiment d’être abandonnés par les pouvoirs publics.
Publié le
Jeudi 13 juillet 2023
Nicolas Lee

Nuit de violence à Roubaix © Photo Kenzo TRIBOUILLARD / AFP AFP

Nuit de violence à Roubaix © Photo Kenzo TRIBOUILLARD / AFP AFP

« On était motivé par une envie de vengeance mais on avait que des mortiers. Ce n’est pas vraiment dangereux… En face, la police, ils sont protégés, ils ont des armes », relate Mehdi*, la vingtaine, en évoquant les soirées d’émeutes à Roubaix, qui ont suivi la mort du jeune Nahel, à Nanterre, le 27 juin dernier. Lui sort de cet épisode désabusé. Sa vision de la suite des évènements ? « Finalement ça n’a servi à rien. Ça va se passer comme d’habitude. L’auteur du tir va être jugé dans 3 ans, puis être envoyé dans une autre région. »

Voir aussi :
14 juillet : « Notre fête nationale célèbre une émeute »
Avec sa longue barbe blanche et sa chemise impeccablement rentrée dans son pantalon, Haroun Bouadjimi, un retraité de La Redoute de 76 ans, met un point d’honneur à consacrer son temps aux enfants et aux jeunes du quartier. « L’Alma ça a toujours été familial », confie le septuagénaire, depuis 36 ans dans le quartier, qui anime des ateliers dans le jardin partagé. Sur les récentes manifestations de colère « Monsieur Haroun » — comme on l’appelle — répond qu’il voit la violence surtout dans l’abandon des habitants du quartier par la municipalité. « Juste avant les élections, le maire avait promis aux enfants que leur parc serait nettoyé. Cela n’a jamais été fait. Vous imaginez ce que ça fait aux enfants d’avoir des politiques qui leur mentent, à cet âge ? » prend-il pour exemple.

Assis sur des marches qui mènent à une entrée scellée par des parpaings, sirotant une canette d’oasis le nez planté dans son téléphone, Medhi parle lui aussi de ce sentiment de relégation de ce quartier, construit à la suite d’une mobilisation des habitants dans les années 70. « Tous les bâtiments autour vont être détruits, avec ma famille on fait partie des derniers à ne pas être parti. » Le projet de rénovation urbaine a laissé ses stigmates. En plus des entrées bouchées, les fenêtres des appartements vides sont aussi méthodiquement murées. C’est l’un des quartiers les plus pauvres de la ville aux mille cheminées où en moyenne 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (Selon l’Insee en 2020). Mehdi fait lentement le tour de la cour du regard avant de se replonger sur l’écran de son téléphone.

Khalid* et Abdel*, 22 ans tous les deux, habitent également l’un des bâtiments presque vides de l’Alma-Gare. Eux aussi partagent le même sentiment d’abandon, décrivant notamment le manque d’entretien des logements par le bailleur social. « Ça nous arrive souvent de ne plus avoir d’eau chaude pendant plusieurs jours et il y a de la moisissure sur les murs », décrit Khalid. « En ce moment, ça fait plus d’un mois qu’on a plus d’eau chaude chez nous, complète Abdel. Mes parents paient quand même 800 euros de loyer par mois ! » rapporte-t-il, excédé. Mehdi renchérit en désignant des bouteilles vides et des morceaux d’emballage qui traînent par terre. Il assure que ça fait plusieurs mois que le service de nettoyage de la ville n’est pas passé et que les riverains assurent eux-mêmes l’entretien des espaces publics.

Le visionnage de la séquence où l’on voit le policier tirer sur Nahel révolte les trois amis et les images des mobilisations en Île-de-France les poussent à l’action. « On est sorti avec l’envie de manifester contre la police, résume Mehdi. Tout le monde, ici, connaît une personne qui s’est fait frapper pour rien par un policier. » À cela, il ajoute le ras-le-bol des contrôles d’identité et des fouilles corporelles auxquels ils ont fini par « s’habituer ». Lorsque les tensions ont éclaté dans le quartier, il y a eu surtout des affrontements avec la police, selon Mehdi. Les trois copains assurent ne pas avoir participé aux pillages, mais comprennent ceux qui y sont adonnés. « Je connais des petits de 14 ans. Ils ont vu qu’on pouvait aller se servir… Ils se sont simplement dit : pourquoi je ne le ferais pas ? Surtout quand tes parents n’ont pas les moyens de te payer des choses. »

Lunette rectangulaire, regard franc, Nordine Jeffali a travaillé plus de 20 ans au centre social de l’Alma. À ses yeux, il n’y a rien de nouveau : l’explosion de colère tire son origine dans l’appauvrissement brutal de celles et ceux qui l’étaient déjà, notamment pendant la crise sanitaire. La mort de Nahel, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Pendant le confinement, des centaines de famille qui dépendent de l’économie grise, du travail au black, se sont retrouvées sans rien. Pour ces personnes, les effets de la crise sont encore très présents », analyse le travailleur social. Il évoque aussi un enchevêtrement de difficultés économiques sur lesquelles vient se rajouter un racisme systémique, qui constitue un plafond de verre voire un véritable « dôme de fer ». « On dit aux jeunes : pariez sur votre scolarité, ça va porter ses fruits… Mais ils reviennent me voir en me disant que personne ne veut leur donner un stage. Quel message ça renvoie aux jeunes ? » se demande-t-il.

Les perspectives d’emploi pour la majorité des jeunes de l’Alma, comme Mehdi et ses amis, se trouvent plus au nord, de l’autre côté de la frontière, en Belgique. « Les entreprises de logistique sont en tension. Elles vont recruter sans se soucier des origines des jeunes », explique Nordine Jeffali. Quant aux activités illégales auxquelles les jeunes qu’il accompagne peuvent se livrer, il ne se fait pas d’illusion. « Oui, il y a du trafic de drogue. Mais les jeunes sont conscients que c’est mal. Ils ne le font pas par plaisir ! » Selon l’ancien coordinateur jeunesse de l’Alma, cet argent sert aussi à constituer un petit capital pour lancer une auto-entreprise dans la livraison de repas, la livraison de colis, ou pour devenir chauffeur Uber… « Les emplois les plus précaires qu’on puisse trouver », se désole-t-il.

À l’origine, l’ambition des urbanistes et des habitants était de garantir des ouvertures et une interconnexion entre les différents espaces et bâtiments du quartier. Pour Mehdi, avec les grilles qui barricadent désormais les passages, cela ressemble surtout à une prison. « Je comprends qu’il faut lutter contre le trafic. Mais de là à installer des grilles partout ? Il y a des familles qui vivent ici. Les cages, c’est pour les animaux… »

*Les prénoms ont été modifiés

Depuis 2018, le quartier d l’Alma-Gare est sous la surveillance des patrouilles de la B2R (Brigades de reconquête républicaine)

Depuis 2018, le quartier d l’Alma-Gare est sous la surveillance des patrouilles de la B2R (Brigades de reconquête républicaine)

Selon Nordine Jeffali, travailleur social depuis 20 ans à Alma-Gare, la colère tire son origine de l’appauvrissement brutal des habitants

Selon Nordine Jeffali, travailleur social depuis 20 ans à Alma-Gare, la colère tire son origine de l’appauvrissement brutal des habitants

En attendant les travaux de réhabilitation prévus dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain, des grilles barricadent le quartier.

En attendant les travaux de réhabilitation prévus dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain, des grilles barricadent le quartier.

TEXTE ET PHOTOS : NICOLAS LEE

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